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Ça c'est Weimar !

Écrivain et homme politique allemand, Johann Wolfgang von Goethe est né en 1749 à Francfort. C’est pourquoi nous avons choisi de faire notre première escale dans la pittoresque gare de cette ville, pleine de suaves odeurs de frites suspendues au bord des cornets et que guettent de rares pigeons obèses.

Ensuite, Goethe est allé à Weimar et nous l’y avons suivi. Il s’est assis des années durant sous le ginkgo biloba, dont les grandes feuilles lui ont permis de ne jamais attraper d’insolation alors qu’il contemplait la fenêtre de ses amours platoniques. A force de ramasser des cailloux épistolaires pour les envoyer sur cette vitre hermétique, il s’est mis à les regarder de plus près et découvrant en eux une beauté insoupçonnée, les a gardé plutôt que de les jeter, ce qui a mis fin à sa relation et a entraîné la ruine des vitriers de Weimar. Il les a empilé dans sa petite maison dans la prairie puis, une fois celle-ci pleine, on lui en a donné une plus grande. Nous avons vu le ginkgo biloba, mais il n’y a plus de cailloux autour… Goethe est parti, et Schiller est arrivé. Comme la maison de Goethe était déjà occupée, on lui en a donné une autre, plus petite car lui ne collectionnait rien. Mais par contre la sienne était jaune. Et très bien placée, juste en face du marchand de glaces.

Mais comme nous venions pour chanter, les guides nous ont trouvé une perle en Bach et Liszt. Eux aussi ont entendu chanter Weimar.

Ne parlant pas allemand couramment, c’est ce que j’ai compris en lisant le guide grün. Je repose mon livre pour regarder par la fenêtre. Là, dans la verrière, Gilles a déjà pris possession du piano. Bientôt nous descendons nous joindre aux Hollandais et partager notre premier repas germanophone. La répétition qui suivit fut aussi dissipée que le repas arrosé. Sans doute l’émotion de la première gorgée de bière…

Le lendemain, tandis qu’Anne-Cécile et Jean-Jacques sacrifient aux honneurs et agapes de la réception officielle, prenons le temps de flâner dans ces rues pavées sillonnées de vélos, où le chant des oiseaux couvre celui des moteurs. Entrons dans cette église, habitée par la peinture de Cranach et peuplée de choristes errants.

De la visite d’Erfurt, je me souviens de la maison du pastel. Ecoutant avec attention les explications de notre guide, nous entendons soudain un couinement intempestif : c’était le chien débonnaire du lieu qui avait trouvé un compagnon en Vincent, qui s’était isolé pour téléphoner, et faisait couiner son canard en plastique pour qu’il joue avec lui. Difficile de se concentrer dans ces conditions !

Autre grand moment de la visite, le pont des épiciers, édifié pour traverser la rivière Gera mais sur lequel les charrettes n’ont jamais pu circuler faute de place, les dits épiciers ayant construit leurs maisons dessus.

Retour à Weimar pour le repas du soir dans la cave d’une auberge dénichée par nos trois exploratrices Anne-Cécile, Annette et Marie-Thérèse. Les rares convives déjà attablés dans une paisible et silencieuse pièce ont du avoir un mouvement de recul horrifié en voyant tout à coup débarquer 50 Français, le verbe haut et le coude souple. Le Français repu de knödels et de sauerkraut a en plus une fâcheuse tendance à se mettre à chanter surtout, circonstances aggravantes, s’il est choriste et qu’il a décidé de choisir cette occasion pour remercier sa Gentille et Grande Organisatrice Marie-Thérèse qui s’est dépensée sans compter pour que tout se passe pour le mieux. Mais alors, tandis que les serveurs nous retiraient nos verres vides dans l’espoir qu’on en réclame des pleins, quelle n’est pas notre surprise d’apprendre que les autres dîneurs sont eux-mêmes choristes. Et d’entonner un chant allemand d’anniversaire, croyant que nous fêtions celui de Marie-Thérèse ! Sortant enfin à l’air libre, nous continuons un moment notre concert improvisé sur la place du marché, apparemment déserte mais résonnant pourtant d’applaudissements après chacun de nos chants.

Samedi, le grand jour, commence par une répétition sérieuse.

Mais dans l’air flotte un cantique bien connu : les Hollandais, groupés autour du piano en oubliant l’hiver, répètent à Jean Racine son ode. Et nous ne résistons pas au plaisir de nous joindre à eux.

Déjà les premières chorales donnent leur prestation dans le Goethe Gymnasium. Les Sex Appeal (six choristes allemands comme leur nom l’indique) font un beau concert jazzy, qui s’est achevé par un inattendu tourdion. L’autre chorale française invitée s’avère être un groupe d’opérette reprenant tous les clichés imaginables sur Paris. Nous espérons en silence pouvoir laisser aux Weimariens une autre souvenir de notre cher pays.

A peine avalée une bratwurst sur la pelouse du château et nous revenons pour écouter nos nouveaux amis hollandais. Et là, un moment vraiment magique. Un cantique de Jean Racine comme jamais je ne l’avais entendu : une qualité de pianos superbe, une douceur et une précision des voix incroyable, j’en ai encore la chair de poule et les larmes aux yeux rien qu’en y repensant. Je suis resté sans bouger, peut-être même sans respirer, les mains moites et le cœur battant pendant ces quelques minutes d’intense émotion. La fin de leur prestation a d’ailleurs été saluée par une standing ovation vraiment méritée.

Mais c’est bientôt à notre tour, et nous allons réveiller nos cordes vocales et répéter notre entrée. Nous entrons sur scène devant une salle comble, un peu tendus mais rassurés par l’indéfectible sourire d’Anne-Cécile. Et malgré une petite variante des ténors et des basses qui ont voulu faire une surprise à leur chef en oubliant quelques lignes du Vere Languores, notre concert semble avoir été apprécié, s’achevant sur un vibrant Nunc Dimittis à faire trembler les vitraux.

Le soir s’avance, poussant les choristes de tous les pays à s’unir en un même lieu dressé de tables et ponctué de bocks mousseux jaunes et noirs. Le repas se faisant attendre, et titillés par les Sex Appeal, nous entamons un tourdion en commun (alors que nous avions à peine commencé à boire !) pour réveiller l’assistance.

Un signal nous pousse soudain à déferler en flots continus vers la plante verte centrale, faire cercle autour d’elle comme si l’on espérait que ses fleurs s’ouvrent miraculeusement à ce moment précis. Mais il s’agit de la cérémonie de remerciements, conclue par l’hymne européen de Beethoven, qui n’avait pourtant jamais mis les pieds à Weimar (ni même à Erfurt d’ailleurs, alors que pourtant c’est pas loin !).

L’excellent buffet nous permet ensuite de goûter à d’autres spécialités locales mais, alors que le repas n’est pas terminé, c’est encore la chorale André Sala qui se fait remarquer en entonnant une Pavane avec les Hollandais, puis l’Ave Verum et le Locus Iste, bref la moitié de notre concert, avant que d’autres chorales répondent enfin à nos incitations vocales en une joyeuse émulation. Nous parvenons même à placer An der Kirche, abandonné lors de notre concert faute de temps. Une petite tasse de Coffee and Tea pour digérer le tout, et une dernière chorale chante un Te Be Poiem que nous nous empressons de compléter. C’est déjà l’heure de regagner notre hôtel pour y passer une nuit pleine de soupirs, de pianos subito, de silences et de ronflements.

Dimanche, dernier jour : on prend bien son temps au petit déjeuner pour ne pas oublier de goûter à tout avant de partir… Si, si, même la saucisse de Thüringe, c’est très bon trempé dans le café ! Avec un peu de hareng de la Baltique…

Rendez-vous ensuite à la Jakobskirche pour animer la messe. Le sermon, ça paraît toujours un peu long quand on ne comprend pas grand-chose à la langue. A part SMS, multimédia et « les enfants qui vont à l’école », le reste m’a un peu échappé.

Dispersion générale ! Chacun part de son côté arpenter une dernière fois la Goetheplatz, la Goethestrasse, le Goethepark, ou encore la Goethehaus, pour imprégner ses vêtements des odeurs de Weimar, en ramener sous ses semelles la poussière, enregistrer les sons de la sittelle torchepot et du pic épeiche qui nichent dans le parc.

Weimar c’est bien, mais c’est en pente. Le résultat, c’est que vous vous installez dans un café en bas d’une pente, par exemple celle qui descend de l’église russe, et vous pouvez apercevoir par les jours de beau temps un magnifique éboulis de choristes, qui finissent par s’agripper aux tables et aux chaises, s’agglutinant spontanément telles les cellules d’un même corps pour recomposer un chœur.

Il est 18 h. Nous rangeons dans la soute nos valises remplies de superbes souvenirs. Trois heures de car, rythmées par les allées et venues de Marie-Alice, qui s’est découvert une nouvelle vocation : photographe d’éoliennes (ne riez pas, c’est très difficile !). On attend avec impatience sa première exposition. Attention ! C’est de l’art contemporain, donc si vous ne voyez pas d’éolienne sur les photos c’est normal : ce qu’il faut, c’est en sentir la présence !

Enfin, le dernier train nous dépose Gare de l’Est, ce qui permet à André de conclure brillamment et fort à propos « ça c’est Paris ! ».

De Weimar, nous rapportons autant d’histoires que de choristes. C’est la mienne, j’espère qu’il y en aura d’autres.

 

Wolfgang von Régis

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